Dans une interview fleuve accordée aux Echos (voir ci dessous), Martin Bouygues fait feu de tout bois et s’exprime violemment sur la candidature de Free à la quatrième licence 3G.
Parmi les arguments exposés, M. Bouygues n’hésite pas à accuser Free de faire des marges déjà trop confortables sur le marché de l’ADSL, et de proférer quelques menaces concernant l’impact de Free sur le marché de l’emploi. Attention les yeux !
Il commence tout d’abord par affirmer que l’activité ADSL de Free est « bien plus profitable que Bouygues Telecom » et que « Free serait donc déjà bien inspiré de réduire un peu ses marges sur l’ADSL avant de penser à venir sur le mobile ».
Une déclaration étonnante lorsque l’on sait que les marges des opérateurs de téléphonie mobile en France sont connues pour être parmi les plus confortables dans le monde (de l’ordre de 30% chez Bouygues)... une marge digne de l’industrie du luxe ! Et ne parlons pas de la condamnation des trois opérateurs français pour entente illicite sur les tarifs, fin 2005...
Néanmoins, ce n’est pas tout. M. Bouygues pense également que pour 1 milliard d’euros, Free ne peut pas déployer un réseau 3G, « sauf à faire le coucou sur le réseau des opérateurs en place ». On se souvient qu’il avait déjà utilisé le même terme méprisant pour qualifier les MVNO (opérateurs virtuels de téléphonie mobile).
Mais l’argument le plus marquant, s’adressant directement au gouvernement, reste la menace à l’emploi.
« Si le gouvernement autorise un nouvel entrant à venir faire de l’ultra-" low cost " dans le mobile, il prend une lourde responsabilité. A terme, une guerre des prix peut provoquer de 10.000 à 30.000 pertes d’emplois chez les opérateurs. Ce sont des choix lourds de conséquences, surtout s’il s’agit de favoriser quelqu’un qui n’investit pas ! »
D’aucuns se souviendront que de tels arguments avaient déjà été brandis lors de l’arrivée fracassante de l’offre Freebox sur le marché de l’ADSL. Finalement, tous les opérateurs ADSL ont fini par s’aligner sur les tarifs proposés par Free, tandis que ce marché n’a jamais été aussi florissant...
Quoi qu’il en soit, à l’heure où le destin de la quatrième licence 3G n’a jamais été aussi incertain, la candidature de Free, malgré les dires de M. Bouygues, semble bien crédible... sinon, pourquoi s’inquiéterait-il autant ?
Article des Echos
TF1, loi audiovisuelle, relations avec le président de la République, immobilier, Bouygues Telecom, Alstom-Areva... Habituellement très discret, Martin Bouygues balaie tous les sujets qui font l'actualité du groupe qu'il préside dans une interview exclusive aux " Echos ". Il livre, en outre, son analyse sur la crise actuelle et se dit confiant dans la capacité de résistance des différents métiers de Bouygues. L'an prochain, le groupe compte recruter de 10.000 à 15.000 personnes, dont de 8.000 à 10.000 en France.
Vous êtes le plus ancien patron exécutif du CAC 40, cette crise vous semble-t-elle différente des autres ?
Des crises, j'en ai vu plusieurs depuis que j'ai pris la direction du groupe en 1989. Mais celle-ci est très particulière et pose quelques questions. Je me demande comment si peu de gens ont pu mettre la planète entière sur le toit en si peu de temps. C'est peut-être lié à un défaut de régulation, mais on ne doit pas occulter la question de la responsabilité. Sur le fond, cette crise est d'une grande brutalité, avec un effet de contagion mondiale important. Mais, du fait de cette brutalité, le cycle pourrait être moins long. Si 2009 sera difficile, la situation pourrait s'éclaircir en 2010. N'oublions pas que la France est dans une position plus favorable que d'autres pays. Les banquiers français traversent, dans l'ensemble, la crise d'une manière plutôt satisfaisante et ont été prudents dans l'immobilier.
L'action des gouvernements vous paraît-elle à la hauteur de la situation ?
Oui, les pouvoirs publics des grands pays occidentaux ont pris depuis l'été les mesures d'urgence qui s'imposaient pour éviter que les épargnants ne perdent tout. Quant aux plans de relance annoncés ces derniers jours, ils comprennent des dispositions nécessaires pour soulager l'économie et faire en sorte de diminuer l'impact sur l'emploi. C'était indispensable.
Dans l'immobilier, justement, la crise devient aiguë...
Il faut rappeler que le marché immobilier français est beaucoup moins touché que les marchés américain, espagnol ou britannique et que le taux de non-remboursement des crédits par les emprunteurs reste un des plus faibles au monde. Par ailleurs, contrairement à la crise des années 1990, cette fois il n'y a plus de marchands de biens et le stock de logements invendus reste très faible à ce jour. Le prix du foncier va baisser et c'est une bonne chose pour les acquéreurs.
Comment se porte le groupe ?
Dans l'immobilier, nous souffrons moins que la moyenne du secteur, du fait de nos règles prudentielles et de notre positionnement sur un segment de clientèle, le moyen et le bas de gamme, qui se révèle moins touché. Dans le BTP, j'observe que l'évolution de nos marchés n'est pas si mauvaise. Nos prises de commandes à fin septembre sont bonnes, leur niveau sur l'ensemble de l'année sera très satisfaisant et c'est vrai pour la France et le reste du monde. On n'observe pas non plus de net recul du volume d'affaires en cours de négociation, qui déterminera les prises de commandes de l'an prochain. Le groupe se porte donc plutôt bien, nous prévoyons de recruter l'an prochain de 10.000 à 15.000 collaborateurs, dont de 8.000 à 10.000 en France, pour toutes nos activités hormis Bouygues Immobilier et TF1.
Le gouvernement est en train de faire adopter une loi audiovisuelle qui assouplit la réglementation. Etes-vous satisfait ?
Il faut voir d'où l'on vient ! Actuellement, TF1 subit des contraintes réglementaires uniques au monde. Dans aucun autre pays il n'y a autant de réglementation sur la télévision. Le problème, c'est que cette sur-réglementation s'applique spécifiquement à TF1 : M6 n'a pas autant d'obligations que nous et je ne parle même pas des chaînes de la télévision numérique terrestre qui en ont très peu et qui, pour certaines, ne les respectent pas... La réglementation d'aujourd'hui - limitation de la publicité, quotas de production et de diffusion notamment - n'est plus du tout adaptée à l'évolution du paysage audiovisuel, ni même à la réglementation européenne. Les règles du jeu ont changé. Quand le gouvernement dit qu'" il faut se reposer des questions sur ces contraintes réglementaires obsolètes ", je ne peux qu'approuver.
Que répondez-vous à ceux qui disent que cette loi vous est très favorable, que le gouvernement fait " cadeau sur cadeau " à TF1 ?
Des cadeaux ? Je n'en vois pas. Pour le moment, on est écrasé par le poids de la réglementation. Il y a trois produits surtaxés en France : l'essence, le tabac et la publicité sur TF1 (rires) ! Honnêtement, je voudrais que l'on m'explique ce qu'a fait TF1 pour mériter ça. Je rappelle que nos concurrents de la TNT ne seront pas taxés comme l'est TF1. Et les autres médias qui font de la publicité et avec lesquels nous sommes en compétition ne seront pas taxés du tout. Alors que, nous, nous allons être taxés deux fois pour financer France Télévisions : une fois à l'aller sur TF1 à 3 %, une fois au retour à 0,9 % sur Bouygues Telecom !
La suppression de la publicité sur France Télévisions ne va-t-elle pas profiter aux chaînes privées ?
Est-ce que TF1 peut s'attendre à des recettes publicitaires supplémentaires ? Tout le monde dit oui, c'est sûr ! Pour ma part je n'en sais rien, le marché publicitaire est très difficile à prévoir pour 2009 et il est en récession. Autant dire clairement dans la loi que, s'il y a des recettes supplémentaires, TF1 sera taxé et que s'il n'y en a pas il ne le sera pas. A ce propos, j'ai lu les déclarations de Patrick de Carolis (le PDG de France Télévisions, NDLR) : " Le lobbying de TF1 et de M6 est choquant et indécent. Si nos concurrents pouvaient nous mettre le pied dessus comme on écrase une cigarette ils le feraient... " Moi, je dis que Patrick de Carolis a totalement perdu son sang-froid. Je suis très choqué par ces propos. Les débats actuels à l'Assemblée nationale sont tout aussi choquants : nous y sommes insultés quotidiennement ! Je demande un peu de respect : Bouygues est un groupe qui existe depuis 1952, qui emploie 150.000 personnes et qui participe au développement économique et au rayonnement de la France. C'est très mal vécu par les salariés de Bouygues, qui se demandent : " Pour qui ces gens nous prennent-ils ? "
En avez-vous parlé avec le président de la République ?
Je connais Nicolas Sarkozy depuis très longtemps, c'est vrai. Je suis conscient du fait que nos relations ne doivent pas constituer un avantage pour le groupe Bouygues. Mais cela ne doit pas être un handicap non plus.
Bouygues Telecom est aujourd'hui le troisième opérateur mobile français. Vous ne voyez toujours pas d'un bon oeil la candidature de Free pour la quatrième licence ?
Premier commentaire : quand je compare la rentabilité des uns et des autres, je constate que Free est bien plus profitable que Bouygues Telecom. Si l'on veut plus de concurrence et faire baisser les prix pour le consommateur, Free serait donc déjà bien inspiré de réduire un peu ses marges sur l'ADSL avant de penser à venir sur le mobile. Deuxième commentaire : déployer un réseau 3G pour 1 milliard d'euros, comme l'affirme Free, me paraît impossible, sauf à faire le coucou sur le réseau des opérateurs en place. Troisième commentaire : mettre en place, en ville, de nouvelles antennes pour un nouveau réseau est infaisable compte tenu des pressions environnementales. Quatrième commentaire : si le gouvernement autorise un nouvel entrant à venir faire de l'ultra-" low cost " dans le mobile, il prend une lourde responsabilité. A terme, une guerre des prix peut provoquer de 10.000 à 30.000 pertes d'emplois chez les opérateurs. Ce sont des choix lourds de conséquences, surtout s'il s'agit de favoriser quelqu'un qui n'investit pas ! Sur la seule année 2008, je rappelle que Bouygues Telecom a investi 800 millions d'euros dans son réseau. En treize ans, Bouygues Telecom a créé 8.000 emplois, sans compter ceux des sous-traitants et des fournisseurs, et investi plus de 6 milliards d'euros pour son réseau.
Les consommateurs réduisent leurs dépenses en période de crise, le secteur des télécommunications est-il menacé par le ralentissement économique ?
Pour le moment, nous ne sommes pas touchés.
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